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lundi, 20 octobre 2014 00:00

L’ECOLE COLONIALE EN « AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE » OU HISTOIRE D’UN CRIME CONTRE LA CULTURE AFRICAINE

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PRESENTATION : L’école des otages de Saint Louis est le premier établissement scolaire public créé par la France en Afrique de l’Ouest en 1855. Mais en vrai, c’est tout le système scolaire « moderne » africain qui apparait comme une vaste "école des otages". Dans ce texte, l’historien Boni Mel revient sur la genèse de cette institution. Il procède à une introduction générale de la question et s’attèle à saisir les buts de l’école coloniale.

 

 

 

INTRODUCTION GENERALE ETLIVRE I : LES BUTS DE L’ECOLE COLONIALE

 

INTRODUCTION GENERALE

Au 19ème siècle, l’Europe capitaliste esclavagiste souffre de crises économiques successives dues aux surproductions, tantôt agricoles (blé), tantôt industrielles, à la mévente et au chômage, liées à plusieurs facteurs nés de la révolution industrielle :

  1. l’utilisation au 18ème siècle, des machines textiles (machines à filer, machines à tisser), du coton, de la laine, de la soie, du charbon, du fer, de la machine à vapeur, de la culture alternée à la place de la jachère, du savoir mécanique etc.

 

  1. le développement, au 19ème siècle, des chemins de fer, des navires à vapeur, de l’automobile, des machines agricoles américaines « moissonneuses (1833), moissonneuses-batteuses (1855), des cultures fourragères, du fumier, de l’industrie chimique (engrais) etc.

 

  1. Le développement du commerce coloniale des matières premières (café, cacao, coton, épices, tabac, sucre) et de l’esclavage depuis le 15ème siècle, des Indiens d’Amérique du sud, puis après leur extermination, des Africains.

 

Le commerce des esclaves a été un facteur sérieux d’affaiblissement démographique et d’appauvrissement pour l’Afrique et une source certaine d’enrichissement pour l’Europe esclavagiste. Il a duré quatre siècles (du 15ème au 19ème siècle).

 

Cette révolution industrielle, commencée à la fin du 18ème siècle en Angleterre, gagne progressivement vers 1830, les pays européens : la France, la Belgique, l’Allemagne etc. Après 1850, elle gagne les USA (industrie textile du coton).

 

La concurrence économique, entre pays européens capitalistes et les nouveaux Etats industriels (USA) pour le contrôle de leur marché intérieur et pour la conquête des marchés extérieurs est rude. Dans une circulaire en date du 26 décembre 1885, le ministre français du commerce, Lucien Dautresme appelle les présidents des chambres de commerce à réagir :

 

« De toutes parts, autour de nous, les nations s’efforcent de réserver leurs marchés intérieurs, mais partout aussi la surabondance de la production les oblige à chercher des débouchés au dehors. Dans cette lutte pour la conquête de marchés plus étendus, le prix appartiendra à ceux qui, joignant la persévérance à l’activité, ne reculeront devant les difficultés des premières tentatives.

Il s’agit, vous ne l’ignorez pas, d’une question dont la solution intéresse, à la fois, la prospérité de nos industries, le bien-être des travailleurs et l’avenir du commerce français ».

                   Jo. Novembre Décembre 1885 P. 6893

 

.

 

Pour une bonne compréhension de cette guerre économique, citons un exemple concret de pays en concurrence que nous présente M le sénateur Sébline :

 

  

 

   «  Le tarif douanier des Etats-Unis est depuis de longues années, un de ceux qui frappent le plus fortement les marchandises importées des pays étrangers.

Après la guerre de sécession, le tarif du 14 juillet 1862, dont les taxes étaient déjà fort élevés, fut modifié par des lois successives sur un certains nombre d’articles et dans le sens d’une majoration (acte du 3 mars 1883 ; tarif douanier du 6 août 1890).

   Les Etats-Unis expédie surtout en Europe des produits alimentaires et matières nécessaires à l’industrie, au premier rang desquels se trouvent le blé et le coton.

Ils trouvent par contre en Europe des produits manufacturés.

Ils ont fait ce raisonnement qu’il pouvaient, à l’aide de tarifs élevés, amener leur nation à fabriquer elle-même les produits manufacturés et à s’affranchir ainsi du lourd tribut qu’elle payait à l’Europe.

De là cette législation protectionniste à outrance qui a pris naissance après la guerre de sécession et qui porte le nom de son auteur, Mac-Kinley ».

Jo sénat.doc parlementaire. Annexe 1893 Annexe n°11 P.9

 

En outre, cette crise affecte gravement les conditions de vie des ouvriers, hommes, femmes, enfants.

 

Pour la France, M. le député de Baudry d’Asson nous présente un tableau douloureux du quotidien des ouvriers :

 

   « Tout le monde reconnaît que la classe ouvrière, surtout à Paris, subit une crise des plus graves et des plus pénibles. On porte à près de 100000 le nombre des travailleurs que le chômage condamne, en ce moment, à la plus affreuse misère.

La reprise du travail serait assurément le vrai remède à cette situation précaire.

Ce n’est pas, messieurs, vous le reconnaîtrez, avec des menaces (du gouvernement) et des voies de fait que l’on donne satisfaction aux justes besoin des malheureux qui réclament du travail ou du pain. On ne se nourrit pas avec des lames de sabre, des casse-tête et des baïonnette ».

Chambre. Jo Annexes. Janvier à juin 1883.Annexe n°1820, p.682

 

              

 

           Que faire?

 

           Comment résoudre ces crises à répétition ?

 

C’est dans ce contexte de concurrence économique mondiale et de souffrance populaire que la France, comme ses rivaux anglais, allemand, belge, espagnol, italien, portugais, décide de conquérir l’Afrique, l’Amérique du sud et l’Asie.

 

M. Jules Ferry, Président du Conseil français, et grand patron de la colonisation exprime, avec clarté, sa pensée sur la conquête de nouveaux marchés coloniaux :

 

   « Au point de vue économique, pourquoi des colonies ?

La forme première de la colonisation, c’est celle qui offre un asile et du travail au surcroît de la population des pays pauvres ou de ceux qui renferment une population exubérante. Mais il y a une autre forme de colonisation : c’est celle qui s’adapte aux peuples qui ont, ou bien un superflu de capitaux, ou bien un excédent de produit. Et c’est là la forme moderne, actuelle, la plus répandue et la plus féconde.

Les colonies sont, pour les pays riches, un placement de capitaux des plus avantageux. Mais, messieurs, il y a un côté plus important de cette question, qui domine de beaucoup celui auquel je viens de toucher. La question coloniale, c’est, pour les pays voués par la nature même de leur industrie à une grande exportation, comme la nôtre, la question même des débouchés. Au temps où nous sommes et dans la crise que traversent toutes les industries européennes, la fondation d’une colonie, c’est la création d’un débouché ».

Jo. 26 juillet 1885

 

  

 

M. Cecil Rhodes, Premier Ministre britannique, pense comme M. le Président du Conseil français, Jules Ferry :

 

   « J’étais hier dans l’East End et j’ai assisté à une réunion de sans- travail. J’y ai entendu des discours forcenés. Du pain ! Du pain ! Je me sentais encore plus convaincu de l’importance de l’impérialisme.

L’idée qui me tient le plus à cœur, c’est la solution du problème social, à savoir : pour sauver les quarante millions d’habitants du Royaume-Uni d’une guerre civil meurtrière, nous les colonisateurs devons conquérir des terres nouvelles afin de trouver de nouveaux débouchés pour les produits de nos fabriques et de nos mines. L’empire, ai-je toujours dit, est une question de vente. Si vous voulez éviter la guerre civile, il vous faut devenir impérialiste ».

Cecil Rhodes, premier ministre du C.A.P, 1898

 

Ces justifications économiques et sociales sont à l’origine de plusieurs conquêtes dans le monde.

 

De 1830 à 1914, après des années de guerres contre les peuples d’Afrique et l’élimination des chefs de la résistance Africaine, Samory, Amadou, Béhanzin, Ba Bemba, la Reine Ranavalona, etc, la France prend possession des terres africaines et constitue les colonies suivantes :

 

L’Afrique Occidentale Française, l’Afrique Equatoriale Française, les colonies du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie). Elle       est présente également en Asie : le Cambodge, la Cochinchine, l’Indochine, etc.….

 

Mais comment tirer profit des richesses variées de ces territoires occupés ?

 

Par le vote de la loi du 05 juillet 1903, le gouvernement général de l’Afrique occidentale française entreprend un vaste programme de travaux de colonisation : construction de routes, de chemins de fer, de ports, de dispensaires, des bureaux administratifs, des camps militaires, des écoles, etc..

 

Parmi les éléments de ce programme de colonisation, l’école est une préoccupation sérieuse pour le pouvoir colonial. Il a besoin de manœuvre pour l’exécution des travaux de colonisation, d’ouvriers agricoles pour les productions agricoles et animales, des agents pour les différents services de l’administration coloniale : commis, interprètes, postiers, soldats, maçons, mécaniciens, cuisiniers, instituteurs, infirmiers, etc.

 

Pour le développement colonial, l’école est, comme les missions chrétiennes, et la médecine, au nombre des moyens d’action essentiels de la politique de colonisation et de domination française dans ses colonies.

 

Comment le pouvoir colonial va-t-il donc s’atteler à l’organiser et à la développer ?

 

C’est cette conception et la mise en œuvre de cette politique scolaire en AOF que nous avons le loisir de vous présenter en plusieurs parties (trois parties).

 

Elles sont accompagnées, à la fin de nos travaux, d’un ensemble de réflexion et de propositions sur l’école actuelle en Afrique. Soit le plan suivant :

 

Le livre I : Les buts de l’école coloniale.

 

Le livre II : Organisation, programme et résultats de l’école coloniale 

 

Le livre III : Les écoles françaises interdites aux africains.

 

Le livre IV : L’école africaine de nos enfants : l’exemple de la Côte d’Ivoire.

 

Le livre V : L’étudiant africain.

 

Etant donné la quantité et la qualité de la documentation, pour des raisons de clarté et de compréhension, nous avons fait le choix d’illustrer nos propos par des textes officiels du pouvoir colonial (député, gouvernements, gouverneur, militaires) et de ceux des témoins de la colonisation : explorateurs, géographes, ethnographes, économistes, missionnaires, administrateurs coloniaux, association coloniale, scientifiques, etc. …

 

Ecrits dans un langage clair et simple, ces livres sont un outil précieux de formation et d’information sur le passé et le présent, et s’adresse à tout public.

 

LIVRE I : LES BUTS DE L’ECOLE COLONIALE

 

11 - LES IDEES DU POUVOIR COLONIAL SUR LA POLITIQUE DE COLONISATION

 

111- Les préoccupations scolaires du pouvoir colonial

 

L’école coloniale dans les colonies d’Afrique, d’Amérique du sud et d’Asie constitue, pour la puissance coloniale française, ainsi que les missions chrétiennes et la médecine, un puissant moyen de colonisation et d’exploitation économique.

 

Dès l’occupation de l’Afrique, les besoins d’une main d’œuvre ouvrière et l’école constituent une préoccupation constante du pouvoir colonial français (gouvernement, député, gouverneur).

 

  • Comment utiliser la main d’œuvre locale pour la politique de colonisation ?

 

  • Quelles écoles doit-on créer pour la formation de cette main d’œuvre ?

 

  • Et quel doit être leur programme d’enseignement ?

 

Le 24 Novembre 1903 est pris, pour répondre à ces préoccupations, des arrêtés signés de M. le Gouverneur - Général Roume, et qui fixent les bases de la première organisation du service de l’enseignement en AOF et créent les cadres du personnel local. Par, ces écoles, le pouvoir colonial entend atteindre les objectifs suivants :

 

-         Franciser ; c’est-à-dire assimiler les africains par la diffusion de la langue et faire d’eux les consommateurs de la culture française ;

 

-         Former la main d’œuvre locale utile :

 

vAux travaux de colonisation : construction des routes, de chemin de fer, de ponts, de bâtiments publics, de camps militaires, de dispensaires, d’écoles.

 

vA l’exploitation économique : agents commerciaux, commis, manœuvres, maçons, mécaniciens, moniteurs agricoles, ouvriers agricoles, interprètes, instituteurs, infirmiers, etc.

 

112 : Définition de la colonisation

 

Mais qu’est-ce que la colonisation ?

 

D’une manière générale, la colonisation peut se définir comme : l’occupation d’un pays autrefois libre et indépendant par un Etat colonisateur et son exploitation économique par ce dernier.

 

Son but, nous dit M. le député Dubief, est de favoriser les échanges entre la métropole et ses possessions et d’accroître, par tous moyens, la puissance de la production et de consommation de l’indigène.

Jo. Chambre. Annexes. Janvier juillet 1903. Annexes n°1208 P. 1661

 

Pour atteindre ce but, les pouvoirs coloniaux conçoivent et mettent en œuvre des idées suivantes :

 

-         La politique de colonisation agricole ;

 

-         Le statut social de la main d’œuvre ou des populations des colonies ;

 

-         La politique de colonisation culturelle.

 

L’ECOLE DES OTAGES DE SAINT ; LOUIS

L’école des otages est le premier établissement scolaire public créé par la France en Afrique de l’Ouest en 1855 – mis à part l’expérience de celle de 1817 de l’instituteur Jean Dard - par le gouverneur Faidherbe. Il est situé à Saint – Louis du Sénégal. On y recrute et on y déporte de force les fils des rois et chefs africaine afin de les surveiller et les former pour devenir des auxiliaires au pouvoir colonial L’Ecole est rebaptisée par la suite « École des fils de chefs et des interprètes ».

Plus tard en novembre 1803cette école ouvre une section à Saint louis ; l’école normale. En 1913 l’école est déplacée à Gorée. Elle deviendra l’école normale William Ponty en 1815.

 

12 - LA POLITIQUE DE COLONISATION ECONOMIQUE

 

La politique économique de colonisation des colons repose sur les idées suivantes :

 

121 - Les colonies sont des terres agricoles et minières

 

 

 

Elles ont vocation à fournir des matières premières agricoles et minières utiles au commerce et à l’industrie française : le cacao, le café, la canne à sucre, le coton, le caoutchouc, l’arachide, le karité, le palmier à huile, les bois, l’ivoire, l’or, le diamant, le fer, le zinc, le cuivre, l’aluminium, la bauxite, l’uranium, le pétrole, le gaz, etc.,…

 

121 - L’industrialisation des colonies serait néfaste à l’économie de la France

 

 

 

Les pouvoirs coloniaux s’interdisent d’entreprendre l’industrialisation des colonies, de peur d’affronter la concurrence des produits manufacturés africains.

 

Cette politique de désindustrialisation de l’Afrique est une des origines du sous- développement culturel, agricole, industrielle, scientifique, technique et sociale de l’Afrique à l’aube des indépendances. En effet, elle est liée au manque de valorisation du patrimoine africain, à l’absence d’écoles techniques et scientifiques, et au bas niveau de formation dispensée dans les colonies (nous verrons cette question dans le livre II°.

 

13 - LA MAIN D’ŒUVRE DANS LES COLONIES

 

 

 

131 - Le statut de la main d’œuvre dans les colonies

 

La colonisation est un système capitaliste esclavagiste modernisé. Dans ce système servile, modernisé, contrairement au passé, le travailleur est payé. Il a un salaire mensuel.

 

Cependant, dans cette société coloniale et servile, les peuples qui y vivrent ont, comme dans les sociétés esclavagistes autrefois, deux statuts juridiques différents :

 

Les colons, les envahisseurs, jouissent de tous les droits d’un peuple citoyen et libre ;

 

Les peuples colonisés, les propriétaires du pays, les africains, les asiatique et les sud-américains, appelés sujets comme aux temps des pouvoirs royaux en France, sont privés de liberté. Ils ne jouissent d’aucun droit : droit politique, de parler, d’écrire, de presser, de réunion, le droit syndical.

 

Les premiers, les colons, ont la direction et le contrôle du pays occupé et de l’économie, et s’interdisent d’exercer des travaux manuels. Ils comptent sur le travail des africains pour s’enrichir et se développer.

 

Sur la base de ce statut servile, les colons conçoivent un principe du travail dans les colonies.

 

132 - Principe du travail dans les colonies

 

 

 

Ce principe du travail esclavagiste dans les colonies est bien illustré par les propos de Mr le député Dubief :

 

« Nos colonies ne sont et ne peuvent être pour la métropole que des marchés et des marchés privilégiés : elles produisent et elles consomment.

L’européen ne peut s’y livrer à aucun travail pénible et surtout à aucun travail agricole : l’indigène est le seul producteur ».

           Jo. Chambre. Annexes. Juin juillet 1903. Annexe n°1208. pp 1660-1661

 

En effet, ce principe de travail dans les colonies découle de la mentalité esclavagiste des colons, hérité des années de pratiques racistes et esclavagistes en Europe même sous les pouvoirs royaux, en Amérique du sud sous l’occupation espagnol et la destruction des indiens au XV siècle, et en Afrique dit commerce triangulaire entre l’Afrique, l’Amérique et l’Europe.

 

Cette façon de penser de M. Dubuef, et des colons est à l’origine du travail dans les colonies.

 

       Quel sera donc le rôle du colon ?

 

M. le député Dubuef précise sa pensée :

 

« Il peut être un bailleur de fonds, un directeur technique d’exploitation, ou un courtier. Dans chaque possession, il n’y a place que pour une minorité de colons appartenant à la classe bourgeoise, disposant de capitaux et pourvu d’une introduction solide : l’indigène sera donc le principal consommateur. »

JO. Chambre annexe janvier juillet 1903, annexe N° 1208 ; P.1661

 

Ces idées indiquent clairement la place de chaque peuple dans les colonies.
Les colons sont les maîtres du pays occupé. Ils ont la direction et le contrôle des affaires publiques et de l’économie.
Les Africains, les Asiatiques et les Sud-américains sont des sujets. Ces statuts différents prennent fin à l’ère de la décolonisation, à partir de la fin de la seconde guerre mondiale.

 

14 - LA POLITIQUE DE COLONISATION CULTURELLE

 

Comment réussir cette politique de colonisation ?

 

Quels sont les moyens utilisés par le pouvoir colonial ?

 

De tous les moyens d’action de la politique coloniale, l’école vient en première ligne pour la réussite de l’œuvre coloniale.
Sur la base des idées émises ci-dessus, le pouvoir colonial précise sa pensée sur les buts de l’école coloniale et l’enseignement à donner dans les colonies.

 

141 - Buts de l’école dans les colonies

 

1411 - La politique culturelle d’assimilation

 

Le 28 juillet 1885, à la chambre des députés, le Président du Conseil, Jules Ferry tenait des propos sur les races et la civilisation comme suit :

 

« Les races supérieures ont des droits vis-à-vis des races inférieures. Elles ont le devoir de les civiliser. »

JO. Chambre ; débats parlementaires ; 28 juillet1885

 

Par civilisation ou civiliser, il faut comprendre la langue, les croyances, les habitudes de vie, les mœurs, les objets matériels, les biens culturels, etc., produits par un peuple pour son existence et son bien-être tout au long de son histoire.
C’est toute cette somme culturelle, ce fonds culturel français que le colonisateur français entend répandre chez les peuples colonisés, au mépris de leur patrimoine culturel afin de les franciser et de faire d’eux, des consommateurs de la culture française.
Et c’est à l’école que le colonisateur a assignée ce but.

 

C’est pourquoi, dans le même esprit que jules ferry, fut créée, en 1887, à Paris, une école cambodgienne destinée à former les premiers agents subalternes asiatiques et Africains pour les services administratifs des colonies.

 

L’ECOLE COLONIALE DE PARIS

C'est d'abord Auguste Pavie, qui après avoir développé les lignes de télégraphe au Cambodge, vient à Paris avec treize Cambodgiens pour y recevoir une formation destinée à faire d'eux des collaborateurs. Ainsi est créée l'École cambodgienne en 1885.

Par un arrêté du 11 janvier 1888, cette école est transformée en École coloniale, et est ouverte aux ressortissants des colonies françaises. Sous l'impulsion de Paul Dislière, nommé directeur en 1892, l'école va se développer et obtenir, en 1912, le monopole de la formation des administrateurs coloniaux. Georges Hardy, historien, et ancien directeur de l'enseignement en AOF, prend la direction de 1926 à 1933. Ses réformes vont aboutir à la création de classes préparatoires dans les grands lycées parisiens, ainsi qu'en province. L'enseignement devient gratuit, en échange d'un engagement de cinq ans dans l'administration coloniale.

L'école change de nom en 1934 et devient l'Ecole nationale de la France d'Outre-Mer (ENFOM)

L'ouverture de l'école nationale d'Administration et les prémices de la décolonisation sonnèrent le glas de l' école nationale de la France d'Outre-Mer. Elle fut remplacée en 1959 par l'institut des Hautes Etudes d'Outre-Mer chargé de former les cadres administratifs des pays de la communauté. En 1966, l'institut international d'Administration publique, chargé d'assister les pays ayant accédé à l'indépendance dans la formation de leurs propres administrateurs lui succéda.

(Sources wikipedia)

 

Le député Etienne, rapporteur de la commission du budget pour le ministère de la marine et des colonies nous révèle le but de cette école :

 

« Nous devons solliciter la venue et la résidence parmi nous (en France) des jeunes enfants qui peuvent, par un contact prolongé, par l’école de notre langue, devenir en rentrant dans leur pays, les véritables missionnaires de la patrie française. Avec le concours de dévoués collaborateurs, M. Pavy notre consul à Laos, M. Foncin et le dévouement de M. le ministre de la marine l’amiral Aube, une école cambodgienne a été créée. Elle compte neuf élèves, et déjà après moins d’un an ces jeunes gens parlent notre langue et ont adopté nos mœurs et notre civilisation.

Nous serions heureux que notre première tentative fût suivie d’exemples. Nous sommes convaincus que M. Paul Bert de Tonkin et de l’Annam, que M. de Brazza du Congo se feront un devoir de ne pas négliger cette importante question ».

             Jo. Chambre. Annexes 1887.Annexe n° 1201 P.1202

 

NB. Ces idées raciales, voir raciste de M. Jules Ferry et bien d’autres penseurs biologistes, naturalistes, explorateurs, scientifiques, missionnaires, hommes politiques, etc., ont enfanté, à travers le monde, depuis le XVI siècle, des crimes et des destructions :

 

  • Destruction des indiens en Amérique sous domination espagnole avec le roi Charles Quint ;
  • Destruction des indiens sous la domination américaine aux USA.
  • Soumission des africains à l’esclavage au XVI siècle par les anglais, français, hollandais, portugais dans les colonies.

 

En Afrique aussi, au fur et à mesure de l’occupation dans les colonies, des écoles sont fondées au Sénégal, au Soudan, au Dahomey, en Côte d’Ivoire etc. dans le même but :

 

« Avant 1903, il n’existait à la Côte d’Ivoire que quelques écoles tenues par les pères des missions africaines de Lyon, en vertu d’une convention du 22 février 1900. Ces écoles au nombre de six avaient leur siège à Grand Bassam, Assinie, Jacqueville, Moosou et Dabou.

Dès le début de 1903, M. le gouverneur Clozel se préoccupait de laïciser ces établissements.

Dix-huit écoles de cercles fonctionnent dans les centres les plus importants de la colonie.

On peut dire, comme toute, que le résultat le plus tangible obtenu par ces établissements tant officiels que privés a été de répandre notre langue parmi des noyaux de jeunes gens, alors que, sur toute la côte, l’anglais est la seule langue européenne parlée par les adultes.

Gouvernement général de l’AOF. Exposition coloniale de Marseille. La Côte d’Ivoire. Ed. Été               1906 p. 628

 

A écouter les partisans de la colonisation culturelle, c’est une politique d’assimilation et ethnocide qui est mise en œuvre dans les colonies, au mépris des peuples et de leur culture.

 

M. Léopold de Saussure, dans « Psychologie de la colonisation française », montre les risques ethnocides d’une politique de francisation :

 

     « La politique coloniale française est orientée vers un but bien défini, l’assimilation.

La politique d’assimilation ne se propose pas seulement de faire progresser les indigènes : elle se propose de leur faire accepter la langue, les institutions, les croyances politiques et religieuses, les mœurs et l’esprit français. Par cela même elle affirme que ce qui convient aux français convient également à toutes les races, aux nègres, aux annamites, aux canaques et aux arabes. Elle nie l’évolution psychologique; elle nie la relation intime qui unit les éléments moraux d’une civilisation à la race qui les a élaborés.

Ces hommes ne conçoivent pas d’autres solutions aux problèmes complexes de la domination des indigènes, que le fusionnement et l’assimilation totale ».

               Léopold de Saussure. Psychologie et la colonisation française. Félix Alcan

 

Face à ce génocide culturel, de jeunes étudiants africains, penseurs précoces, Aimé Césaire, Gontran Damas, Senghor, Check Anta Diop, ont réagi à cette destruction culturelle en créant, dans les années 1930, le mouvement de la négritude dont le but est la réhabilitation et la valorisation du patrimoine africain.

 

Nous verrons dans les travaux consacrés au patrimoine africain, comment ces jeunes étudiants et penseurs africains ont, par leurs actions et par leurs œuvres, contribué à la renaissance culturelle et politique de l’Afrique.

 

1142 - Les visées économiques de la politique culturelle de francisation

 

La politique culturelle d’assimilation vise aussi un but économique : le marché et les consommateurs des colonies.

 

C’est pourquoi aussi, entre pays européens impérialistes, la concurrence culturelle est rude.

 

Par la diffusion de sa langue, chaque pays colonisateur compte gagner un grand nombre de colonisés, futurs clients ou consommateur d’après lui de sa culture matérielle.

 

Aussi, face aux rivaux français, le député M. Raiberti lance un cri d’alerte :

 

«La concurrence menace, sur le marché d’orient, la situation de notre commerce extérieur. Les allemands ont la plus importante de toutes les concessions de chemin de fer en Asie mineure.

Aussi, notre expansion industrielle ou commerciale en Asie mineure est battue en brèche de toute part. Il nous reste cependant un grand et puissant moyen d’action, c’est notre influence religieuse. Elle peut soutenir et au besoin relever nos autres intérêts d’orient. Aussi la concession des travaux du port de Beyrouth avait été donnée à des syriens. Ces syriens avaient été élevés à des missions dans le culte de la France ; ils ont associé à leur entreprise des capitaux français.

En Egypte, l’Angleterre s’est habillement servi, non seulement de ses propre missions, mais encore de nombreuses missions américaines qui ce sont établies dans les pays musulmans. On évalue à 6500 les enfants qui sont élevés dans les écoles de ces missions. L’enseignement leur est donné en anglais. Si nous n’y prenons pas garde, l’enseignement de la langue anglaise aura bientôt fait de prendre en Egypte la place du français ».

         Jo. Chambre. Annexes 1895. Annexe n° 1528 pp 1253-1254

 

Ce texte est long, mais il mérite d’être cité en exemple pour sa clarté. Partout en Afrique, en Asie et en Amérique du sud, les colonisateurs usent de tous les moyens humains et matériels : explorateurs, missionnaires, médecins, militaires, écoles, etc., pour s’attirer la sympathie et la soumission des peuples colonisés, futur client de la culture française.

 

142 - L’orientation pédagogique non scientifique et non industrielle de l’enseignement dans les colonies.

 

Nous avons vu ci-dessus que dans les colonies françaises, la main-d’œuvre européenne sous le prétexte de la lourdeur du climat ou de la pénibilité du travail, s’interdit tout travail manuel ou ouvrier comme si le climat ou le travail manuel sont une cause de mortalité dans le monde.

 

Ainsi donc dans les colonies, le pouvoir colonial a un pressant besoin en main-d’œuvre local pour exécuter les travaux publics de colonisation pour accélérer le développement de l’agriculture, les exploitations forestières et minières, etc.

 

Dans le cadre de la Cote d’Ivoire, comme partout en Afrique, l’accent est mis sur la formation pratique :

 

«Ce qu’il convient d’enseigner aux jeunes indigènes, c’est le travail professionnel et manuel. En leur apprenant un métier, on les prémunirait contre le dévouement, qui les menace à leur sortie de l’école, en même temps qu’on assurerait la conservation de leur acquit intellectuel et moral, on doterait la colonie des ouvriers de toute sorte, dont son expansion rapide lui fait un pressant besoin : charpentiers, chaudronnier, commis, forgerons, instituteurs, infirmiers, interprètes, maçons, mécaniciens, moniteurs agricoles, ouvriers agricoles, peintres, etc.».

         La Cote d’Ivoire. Exposition coloniale de Marseille 1906 P 629 à 630.

 

Cet enseignement colonial pratique, bien entendu est acceptable et bénéfique aux colons, mais il est nuisible, à court et à long terme pour les africains, parce que les colons ont exclu de leur projet culturel, l’enseignement secondaire, l’enseignement scientifique, l’enseignement technique et l’enseignement industriel dans la formation des africains.

 

Dans son « Domination et colonisation », Jules Armand résume très lien la pensée dominante des colons sur la formation destinée aux jeunes africains :

 

«On est à peu près unanime sur les principes généraux de l’enseignement indigène, en disant qu’il est de notre devoir et de notre intérêt :

1- d’instruire les indigènes ;

2- d’organiser leur enseignement conformément à ces observations c est à dire dans le sens «pratique», matériel, réaliste et scientifique

Il ne faudrait pas toutefois exagérer le sens des mots et laisser craindre que sous cette expression « instruction scientifique » puisse se glisser des intentions pédantesques. Il ne s’agit point de remplacer les manuels d’histoire et de « récitation » d’autrefois par des manuels de physique, de chimie et d’histoire naturelle, ni d’enseigner des « résumés » de ces sciences.

Ce qu’il faut, «  c’est que le maitre utilise la connaissance qu’il doit avoir des sciences pour en imprégner l’esprit des élèves et pour l’application à certaines formes de la vie ambiante, agricole et industrielle ».

         Jules Arnaud « Domination et colonisation », Flammanon, Paris, 1910. P 266-267.

 

Pour le colonisateur, l’instruction des sujets africains doit écarter de l’enseignement un contenu abstrait ou théorique qui fait appel à la réflexion sur l’état de la société : discussions philosophiques, l’histoire française, les institutions politiques et initier les jeunes africains à un enseignement essentiellement pratique et utilitaire, pour répondre au besoin en main-d’œuvre de la colonisation.

 

Cette façon coloniale de penser des colons signifie qu’il ne faut pas faire des Africains des penseurs, des savants, des scientifiques, des techniciens, des ingénieurs, des médecins, etc. mais faire d’eux uniquement que des agents subalternes de l’administration, des manœuvres et des ouvriers agricoles.

 

Nous verrons dans le livre II relatif à l’application du projet culturel et scolaire des colons, les écoles, leur organisation, leur programme d’enseignement et leurs conséquences sur le développement culturel, agricole, industriel, scientifique, technique des Etats africains à l’aube des indépendances.

 

Boni Mel, chercheur en histoire

 

 

Lu 25799 fois Dernière modification le jeudi, 02 juillet 2015 21:27

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